HLP - Question de réflexion (ou essai)

 Question de réflexion (ou essai)


L’esprit de l’exercice

            C’est la deuxième des deux questions, et quel que soit le versant auquel elle se rapporte (réflexion « littéraire » ou « philosophique ») elle reste avant tout une question de réflexion autour ou à partir du texte, non d’analyse du texte. Autrement dit, votre principal objectif, ici, est de montrer : 1) Que le texte est si intéressant qu’il donne à penser autour de lui ou après lui, 2) Que l’on peut prolonger sa lecture par une discussion qui peut être plus ou moins fidèle, plus ou moins opposée. Il faut bien comprendre ici que la grandeur d’un texte est qu’il suscite la discussion. Même si cette discussion se retourne contre lui. Dans cette discussion, en effet, vous aurez tout à fait le droit d’émettre un avis différent ou contraire au texte, à condition de : 1) Ne pas réfuter le texte (débattre n’est pas combattre), 2) De le faire avec respect et modestie (on n’émet une critique qu’après avoir donné la parole à l’autre, autrement dit il faut toujours commencer par les thèses de l’auteur avant d’en émettre d’autres), 3) De le faire de manière impersonnelle et constructive : il ne s’agit pas de « vous », de votre « avis », d’une « opinion » contre une autre, il s’agit d’un véritable débat, à la recherche d’une vérité ou d’une solution.

            La particularité de l’exercice de réflexion en HLP (par rapport à la dissertation en Philosophie) est de vous offrir un premier élément de dialogue : celui du texte. Ici, vous êtes certes plus libres que dans la « question d’interprétation » : il faut bien se détacher, à un moment donné, du propos de l’auteur. Mais il existe. Vous pouvez le rappeler et vous en servir comme une espèce de centre de gravité, un pôle auquel votre copie pourra revenir. Si par exemple le texte est un texte de Montaigne au sujet des animaux et de la différence avec l’homme, vous aurez tout le loisir de prolonger la thèse de Montaigne, soit en vous en démarquant (en disant le contraire), soit en la soutenant (mais en lui apportant d’autres arguments, d’autres exemples, etc.). N’oubliez pas néanmoins ceci : que vous quittiez ou non le propos de l’auteur, c’est grâce à lui que vous le quittez. Un adversaire n’est pas un ennemi : il faut rendre justice à un auteur qui pense différemment que vous.

La méthode

            Dans l’ensemble, elle consiste d’abord à introduire son propos (1), puis à énoncer son propos (2), enfin à le clore (3). Remarquez qu’il s’agit de mimer à l’écrit un débat qui aurait lieu à l’oral : on se présente, on se salut (1), on discute et l’on débat (2), enfin l’on se quitte et l’on se dit à une prochaine fois (3) ! Ayez bien en tête cet idéal de clarté.

            Le (1), autrement dit l’introduction, vous servira à la fois à présenter la question, puis ses enjeux (le problème qu’elle pose), enfin à annoncer votre plan. Trois parties donc, qui imitent les trois parties générales de votre réflexion.

            Le (2), autrement dit le développement, vous servira à la fois à donner arguments et exemples. Mais il sera systématiquement encadré par une petite introduction (voici ce que l’on va dire ou soutenir) et par une petite conclusion, que l’on appelle une transition (voici ce que l’on a dit et voilà ce qu’il faut encore que nous disions). Trois parties donc (petite introduction, arguments, petite transition), qui imitent les trois parties générales de votre réflexion.

            Le (3) qui est une conclusion.


Exemple corrigé (à partir du texte de Marc Dugain)

            Les nouvelles technologies semblent susciter autant d’intérêt que de peur. D’un côté, on se presse d’installer la 5G dans les pays, d’un autre côté on redoute de laisser les enfants devant les écrans ou de démocratiser les tablettes numériques à l’école [Le plus souvent, il est bon de commencer par un exemple, une illustration, un fait concret, simple, quotidien, avant d’amorcer la réflexion]. Tout se passe comme si les hommes avaient développé malgré eux des objets qui, pour la première fois, se retournent contre leur inventeur. A la différence, semble-t-il, de toutes les techniques du passé, ces « nouvelles technologies » ne nous aideraient pas tant à mieux utiliser le monde (comme le faisaient par exemple un marteau ou une scie) qu’à nous éloigner du monde. Car si toute technique se veut bien d’abord une sorte d’outil pour contrôler les choses, on dirait parfois que les techniques que nos générations, elles, utilisent, comme les téléphones ou les jeux vidéo, nous servent plus à contrôler des choses qui n’existent pas : des choses virtuelles. Autrement dit, on peut se demander si ces technologies ne nous éloignent pas de la réalité ? [Remarquez bien que le propos avance au conditionnel, en supposant, en s’efforçant de définir, mais sans poser ou « jeter » des définitions toutes faites. Une vraie réflexion avance à petits pas, avec prudence.]
    Pour autant, est-il vraiment certain que les nouvelles technologies nous fassent « nécessairement » vivre sur le mode de la soustraction : plus d’objets techniques, certes, mais moins d’accès au monde ? Il suffirait pour en douter de faire l’expérience de pensée suivante : que ressentirait un homme du passé, par exemple du dix-neuvième siècle, s’il avait la possibilité de voir, grâce à la télévision, ce qui se passe aujourd’hui en Australie, de discuter, grâce au téléphone, avec un ami qui habite en Chine, de connaître, grâce à Internet, la moindre chose à l’aide d’un seul clic de souris ? Sans doute pourrait-il penser que les techniques nouvelles apportent (additionnent) plus qu’elles ne retirent (soustraient). C’est pourquoi l’on peut se demander si les deux thèses présentées n’ont pas chacune une part de vérité ? Mais dans ce cas, comment comprendre que les nouvelles technologies à la fois nous éloignent et nous rapprochent du monde ?
    [L’approche favorisée ici est une approche dramatique ou contrastée : opposition entre deux thèses. Remarquez que l’annonce du plan se fait ici au plus simple : il n’est pas toujours besoin de tout formuler scolairement. A la fin de l’introduction, le lecteur comprend sans problème qu’il y aura deux parties dans le développement.]


            Que les nouvelles technologies nous éloignent du monde, c’est ce que cet extrait du roman de Marc Dugain, Transparence, nous rappelle [N’oubliez pas de prendre appui sur le texte pour disposer déjà d’une voix dans le débat que vous mettez en scène]. Dans ce roman, qui se passe dans le futur, on devine que les nouvelles technologies ont encore gagné en nombre (elles occupent davantage encore notre vie quotidienne) et en importance (elles sont devenues plus « puissantes » encore). Mais il faut bien considérer l’intérêt d’un roman futuriste : il ne cherche pas tant à dépeindre objectivement ce qui va se passer dans les décennies à venir qu’à nous alerter sur ce qui se passe dès à présent, aujourd’hui. A travers la description du malheur engendré, dans le futur, par les nouvelles technologies, c’est donc la description des malheurs actuels que fait aussi le romancier. On peut en noter au moins trois, d’après le texte étudié : notre rapport au temps, notre rapport à l’espace, enfin notre patience ou notre attention [Comme toujours, vous êtes en droit de reformuler plus « mathématiquement » le texte, et de vous en servir à loisir dans l’exercice de réflexion. Tout le texte n’est pas nécessaire ici : tout le texte n’est pas directement relié à votre question. A vous d’en faire bon usage.]. Marc Dugain note d’entrée de jeu que notre rapport au temps a changé : les yeux rivés sur nos écrans et l’esprit toujours occupé par l’avenir (par la prochaine version d’un téléphone, par la mise en vente d’une nouvelle machine, par l’amélioration technique de tel procédé, etc.), nous ne savons plus nous repérer dans le temps long de l’humanité : ce qu’on appelle l’ « histoire » (ligne 3). C’est la même chose du côté de l’espace : aidé, guidé par nos machines, par exemple par le GPS, nous ne savons plus non plus nous repérer seuls, et après l’histoire, c’est la géographie qui deviendrait pour nous difficile. Enfin, l’auteur insiste sur la question de l’attention [Lister bien votre argumentation : « d’abord… », « Ensuite… », « Enfin il reste à voir que… » Une argumentation ce n’est pas une suite d’arguments posés les uns à la suite des autres. C’est une organisation. C’est un corps d’arguments, qui sait où il va.]. Selon lui, à force d’être dominés par nos machines, et de goûter à des musiques faites pour marcher très vite, des films conçus pour nous plaire rapidement, des livres écrits pour nous divertir au maximum, notre patience aurait baissé. L’homme contemporain, à ses yeux, s’ennuierait très vite. Le monde est devenu plus lent que lui : tandis qu’il peut « zapper » rapidement d’un programme à l’autre devant sa télévision ou appeler en un clin d’œil qui il souhaite à l’autre bout du globe, il faut toujours beaucoup de temps pour faire une randonnée, une véritable patience pour contempler un paysage, un vrai investissement pour arriver à nommer les arbres ou les oiseaux que l’on croise. La nature, notamment, demande pour être goûtée un tout autre rapport à l’espace et au temps que celui auquel nous habitue les nouvelles technologies.
    Pour autant, on peut se demander si cette perspective est définitive et si les nouvelles technologies n’apportent pas aussi avec elles, non pas une diminution de notre rapport au monde, mais un rapport nouveau ? Cette nouveauté n’est pas entièrement positive, certes. Mais c’est peut-être parce qu’elle se distingue trop, parce qu’elle se sépare radicalement du passé qu’elle risque de nous apparaître parfois comme une dégradation. Ne faudrait-il pas alors rendre justice à notre nouveau rapport au monde ? [Les transitions sont des étapes capitales : vous ne devez jamais passer d’une grande idée (une grande partie) à une autre comme ça, sans vous justifier, sans expliquer pourquoi. Ce n’est pas un exposé : c’est une véritable réflexion. On ne change d’idée, dans la vie, que parce que l’idée que l’on avait a été critiqué, remise en cause. La transition est le lieu où commence cette critique. Elle vous permet de basculer vers une autre partie.]


            On pourrait en effet se demander si les nouvelles technologies, même si elles risquent de nous éloigner du monde [N’oubliez pas qu’une réflexion avance sans rayer ou raturer ce qui précède. Vous avez progressé, certes : votre deuxième partie critique votre première. Mais elle ne l’annule pas. Vous êtes encore redevables à votre première partie. Ce que vous avez écrit précédemment, vous devez le dépasser : mais pas l’oublier.], ne nous permettent pas également de vivre autrement le monde ? Autrement dit, ne pourrait-on pas penser que nos écrans et nos ordinateurs augmentent aussi notre rapport à la réalité, paradoxalement ?
    [J’ai bien annoncer la teneur de la partie, je vais à la ligne et j’expose mes arguments, clairement.]
    En effet, nous pouvons reprendre notre exemple d’introduction : pour un homme du passé, il est certain que ce que nous vivons lui apparaîtrait à la fois comme un risque et comme une chance. Un risque, nous l’avons vu, parce qu’au lieu d’avoir les yeux sur le monde, nous les avons bien souvent baissés, sur nos téléphones. Mais c’est aussi une chance : un homme du passé ne pouvait connaître, en termes d’espace, que le mince territoire dans lequel il passait sa vie. Il ne pouvait connaître, de l’histoire, que les quelques livres qui se trouvaient dans son entourage (s’il savait lire). En somme, il ne pouvait voir qu’un extrait du monde. Nos générations peuvent au contraire, grâce aux nouvelles technologies, multiplier le temps et l’espace. Que voulons-nous dire par là ? Au lieu d’en rester au seul espace qui est le nôtre, nous pouvons discuter avec des personnes à l’autre bout de la terre, recevoir des images d’un pays étranger, suivre en direct un match dans un autre hémisphère, etc. De même, dans notre rapport au temps : la moindre information sur l’Antiquité ou le Moyen âge, nous pouvons la rechercher et la trouver rapidement sur internet, par exemple grâce aux encyclopédies en ligne. On pourrait même aller plus loin : ces univers virtuels, comme ceux des jeux vidéo, n’ont-ils pas ajouté au monde d’autres mondes ? En ce sens, les nouvelles technologies n’ont pas fait qu’enlever au monde réel une part de sa valeur : elles ont redoublé le nombre des mondes. Lorsque, par exemple, deux personnes se parlent sur Facebook, sont-elles vraiment « coupées » du monde ? On pourrait dire au contraire qu’elles continuent leur relation dans le « vrai » monde en passant dans un « autre » monde, virtuel.
    Autrement dit, on pourrait considérer que les nouvelles technologies ont recouvert le monde d’une quantité d’autres. A côté du monde réel, géographique, dans lequel notre corps et nos yeux se baladent, il y a ces autres mondes, fictifs, parfois festifs et ludiques, qui nous accompagnent désormais partout. L’être humain d’aujourd’hui ne se promène plus dans un seul monde, comme l’homme du passé. Et ne parle-t-on pas, en effet, de « réalité augmentée ? »


            Les nouvelles technologies ne nous éloignent donc pas nécessairement du monde, même s’il est certain que l’un de leurs effets est bien de diminuer notre attention à ce qui n’est que réel, à ce qui demande encore patience et attention. Il est devenu très difficile de s’en passer, et même celui qui s’en va en forêt se promener reste d’une manière ou d’une autre « connecté », comme l’on dit. Connecté à quelque chose qui n’est pas d’abord le monde. Toute la question était de savoir si ce « quelque chose », Internet par exemple, risque d’appauvrir ou d’enrichir notre existence ? Il nous semble pour finir que le progrès technologique a quelque chose de double ou d’équivoque : à la fois un mal et un bien. Autrement dit, à côté de cet éloignement du monde, les nouvelles technologies n’ont-elles pas aussi réussi à nous immerger dans d’autres mondes (les mondes virtuels), et même à nous faire goûter plus amplement, plus largement le monde, en nous donnant accès à plus de choses, à plus d’informations, que toutes les générations dans le passé ?

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